Par les temps qui passent, on nous parle souvent du textile chinois et de la production lientérique qui submerge l’Europe et particulièrement la France. Les informations sur le sujet restent partielles et la question de fond n’est pas abordée.
Elle se situe dans la conception même du tissage que les chinois développent depuis des milliers d’années. C’est ainsi qu’aujourd'hui ils réalisent ce qu’ils ont toujours fait et qu’ils sont les seuls à faire aussi bien : ils harmonisent les potentialités contraires ; plus précisément, ils allient, compénètrent l’efficacité capitaliste du point de vue économique et l’organisation politique marxiste.
L’URSS n’a pas su faire cela et a disparu.
Place Tien An Men, le gouvernement chinois s’est débarrassé de toute velléité démocratique qui aurait été une entrave à leurs desseins.
Ce n’est pas tant le nombre qui donne l’avantage aux Chinois que la réconciliation du principe communiste « la conscience collective prime sur la conscience individuelle » et du dynamisme commercial occidental. Temps de travail considérable, absence de toutes protections individuelles légitimées par la présence du Parti dans toutes les grandes structures ne peuvent que faciliter une économie sans cesse en expansion.
Pour bien comprendre et pour développer des îlots de résistance, nous devons nous poser la question du tissage. Etoffe ou corps social, c’est le jeu permanent et solidaire d’un fil de chaîne et d’un fil de trame ; c’est ainsi que l’on peut obtenir un bon tissu.
Dans cette perspective et par analogie, la doctrine marxiste constitue le fil de chaîne et les applications et la mobilité des investissements capitalistes, le fil de trame. Ce que nous constatons aujourd’hui c’est que le fil de chaîne concerné est rigide : les travailleurs chinois ne semblent pas avoir le choix si ce ne sont des promesses à long terme sur une plus grande souplesse des conditions matérielles améliorées.
Nous ne pouvons pas faire grand-chose contre les Chinois et croire que nous maintiendrons la qualité des productions sur la quantité est un rêve pieu. Tout ce que l’on peut faire, c’est de promouvoir notre propre tissage.
Mais voilà, le tissage européen, français notamment, connaît des précipitations de grande amplitude comme nous disons dans la météo marine. Ici, nous n’évoquons pas seulement le problème du textile mais l’ensemble des conceptions qui structurent nos sociétés. Le fil de chaîne, c’est-à-dire les principes internes, est de plus en plus chahuté et c’est notre société qui s’en trouve fragilisée.
On peut constater sur plusieurs décennies que le jeu des fils de trame c’est accéléré. Plus précisément, cela se manifeste dans le symptôme du « Yo Yo » et une propension vers l’illimité.
Le « Yo Yo », c’est le passage d’une attitude à son opposé, d’un fil de chaîne rigide à un fil de chaîne détendu et puis, comme pour la mode, nous revenons au comportement ancien.
C’est ainsi que dans l’éducation, on est passé de processus autoritaires (1ère moitié du 20ème siècle) à des comportements plus libéraux (années 60 …8) ; dans le même mouvement, les enseignants dont la tâche, comme le nom l’indique, consistait uniquement à enseigner, se sont vus attribuer la tâche d’éduquer, rôle dévolu jusque là aux parents. Nous pouvons pressentir que des réajustements redéfinissant le rôle et la responsabilité des parents sont en cours.
La même fluctuance s’est jouée au niveau du couple et de sa relation au travail. Pendant quelques décennies, l’aspect professionnel a prédominé sur l’aspect familial, privé. Il semble qu’aujourd’hui, beaucoup réalisent que, malgré l’importance de l’insertion professionnelle, les deux montagnes les plus difficiles à gravir restent de réussir sa vie de couple et d’élever droit ses enfants.
Pour le travail, nous sommes passé d’une conception très valorisée, pas tant du travail lui-même que de la manière de le réaliser, à une approche frileuse dominée par la notion de loisir. Là encore, nous aurons sans doute à moduler …
Toutes les structures sociales sont impliquées dans le relâchement du fil de chaîne : nous ne réduirons pas « le déficit structurel » de la Sécurité Sociale si nous ne redéfinissons pas la responsabilité de chacun à l’égard de son corps et des pathologies qui peuvent l’atteindre. La véritable prévention, n’est pas exclusivement dans le renforcement pharmaceutique ou médical mais dans la capacité pour chacun de comprendre et d’agir pour maintenir son état de santé et ici nous pourrions sans scrupules, sans état d’âme emprunter aux Chinois leur conception et leurs pratiques préventives.
La propension vers l’illimité signe une volonté de liberté sans limite.
Il y a quarante ans, une femme en pantalon en Espagne, était sifflée. Aujourd’hui, ce pays est le premier à reconnaître le mariage des homosexuels. Cette reconnaissance apparaîtra de plus en plus légitime, aux jeunes générations notamment.
On peut néanmoins se poser la question de trames de plus en plus étendues. Est-ce qu’un jour on finira par valider un comportement pédophile …
En fait, ce qui est certain est que nous ne pouvons travailler que sur nous même. Il y a un proverbe chinois qui insiste sur le fait que, dans une relation problématique, « même si nous n’avons tort qu’à 1% c’est sur ce 1% que nous devons travailler ». Travailler sur les autres ou contre les autres est totalement inefficace.
Critiquer « le tissage jaune » est inutile, c’est une perte de temps. Ce qui nous importe, c’est la qualité d’un tissage et pour rester dans le domaine des couleurs nous appellerons « le tissage tricolore ».